De l’art (moderne) de facturer des honoraires.

Le MAC a une certaine morale.

Mais il ne supporte pas les fausses pudeurs.

Et il connait bien cette maxime de François de La Rochefoucauld : « L’intérêt parle toutes sortes de langues, et joue toutes sortes de personnages, même celui de désintéressé. ». 

Car il semblerait que ce ne soit pas que pour la beauté de l’art que Caroline Mécary, une intrigante du Palais, est devenue Membre du Conseil de l’Ordre des Avocats de Paris.

En non-exclusivité pour vous, avocats-citoyens, nous re-révélons une affaire qui avait été jadis rendue publique par feu le syndicat COSAL. Une histoire haute en couleurs, pour ainsi dire, faite de toiles de maître, de Bâtonniers et de Membres du Conseil de l’Ordre de Paris, et – évidemment – de dizaines de millions d’euros.

Laissez-nous vous brosser le tableau de l’affaire.

Une affaire qui – comme toutes les affaires que le MAC dévoile – pose une question d’intérêt général : comment sont désignés les membres des formations de jugement disciplinaires de l’Ordre des Avocats de Paris ?

Avertissement : après avoir lu ce qui suit, vous ne pourrez plus voir l’Ordre des Avocats de Paris (qu’)en peinture …. 

Avocate de la veuve et de l’orphelin … et des beaux tableaux.  

Tout commence en 1996. Caroline Mécary est désignée comme avocate d’héritiers dans le cadre de la succession de la célèbre peintre moderne Joan Mitchell.

L’avocate et les clients conviennent d’une convention d’honoraires assez classique, quoique déjà très favorable à l’avocate :

–        des honoraires de diligences de 15 000 francs (hors taxes), à titre de provision ; 

–        des honoraires de résultat de variant de 10 % à 25 % des sommes obtenues sur une fourchette de 4 800 000 à 8 800 000 francs.

En 2003, après quelques années de contentieux, l’affaire est sur le point de se dénouer par la signature d’une transaction entre les héritiers.

Le 9 mars 2003, soit deux jours avant la conclusion de la transaction qui interviendra le 11 mars 2003, Caroline Mécary réalise alors un vrai coup de maître. Elle fait signer à ses clients un avenant à leur convention d’honoraires, un chef-d’œuvre dans son genre : il prévoit que l’avocate se fera remettre 23 tableaux, « choisis » par elle dans la succession, en guise d’honoraire de résultat. 

Qui veut gagner des dizaines de millions ?  

Le MAC s’est renseigné : une œuvre de Joan Mitchell vaut entre 100 000 euros et 1 000 000 d’euros.

Ironie de l’histoire : les toiles en cause avaient été intitulées par l’artiste … « no value » !

L’avocate s’étant attribué la faculté contractuelle de choisir ses tableaux, trois scénarios étaient possibles :

–        elle choisit les moins chers, soit un honoraire de résultat de 2 300 000 d’euros seulement ; 

–        elle choisit ceux de valeur moyenne, soit un honoraire de résultat de 12 000 000 d’euros ; 

–         elle choisit les plus chers, soit un honoraire de résultat de 23 000 000 d’euros.

Dans ce véritable film de science-fiction, on vous laisse imaginer le scénario qu’aurait retenu notre ‘chère’ Consoeur ….  

Une Consoeur (dés)intéressée à la chose publique. 

Les héritiers contestent évidemment les honoraires devant le Bâtonnier de Paris.

Et c’est au même moment que notre avocate se prend d’intérêt pour la chose publique et se porte candidate aux élections ordinales de fin 2004.

Elle écrit alors une profession de foi avec des mots qui la dépeignent fidèlement : « engagement », « confiance », « bénévolement », « sacrifices » … :

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Toujours garder confiance en nos institutions …

La (con)fraternité règne à l’Ordre des Avocats de Paris.  

C’est ainsi que Caroline Mécary se fit élire au Conseil de l’Ordre des Avocats de Paris – d’une main de maître pourrait-on dire – pour les années 2005, 2006 et 2007.  

Et elle fit bien, puisque le Bâtonnier de l’époque rendra, le 16 août 2005, une décision condamnant les héritiers à verser à ‘sa’ Membre du Conseil la somme de 356 642 euros, hors taxes, … et à lui remettre 23 œuvres choisies par elle ! 

C’est donc le Bâtonnier qui signera cette décision en faveur d’une avocate qui siège au sein du Conseil de l’Ordre qu’il préside et où elle vote les résolutions mises à l’ordre du jour par ce même Bâtonnier.

Qui oserait dire que l’Ordre des Avocats de Paris n’est pas une juridiction impartiale et indépendante ?  

La Cour d’appel de Paris manque de goût.  

Le MAC aurait tellement voulu assister à l’audience devant la Cour d’appel de Paris, ne serait-ce que pour pouvoir croquer de quelques coups de crayon les expressions des hauts magistrats …. Il aurait sans doute colorié en rouge non seulement leurs robes, mais aussi leurs joues, vu l’arrêt qu’ils ont rendu, le 23 mars 2007 (RG 05/00651) : 

Cour appel Paris, 23 mars 2007

La Cour d’appel a bien entendu annulé la clause qui permettait à Caroline Mécary de se faire remettre 23 toiles de son choix, et elle a modéré les honoraires de diligences au montant de 250 000 euros hors taxes.

En cette même année 2007, comble du cynisme, notre Maître es honorarium co-signait un guide du Barreau de Paris intitulé « Les honoraires des avocats » (Les dossiers du Barreau de Paris, n.° 4, novembre 2007). C’est un peu comme si un proxénète, un ‘maque’, écrivait un traité sur les bonnes mœurs ….

Caroline Mécary s’est pourvue en cassation.

Vous comprenez, il en allait de l’avenir de notre profession et de son image auprès des juges et des justiciables.

La Cour de cassation a rejeté son pourvoi (voir l’arrêt : Civ. 2ème, 19 nov. 2009, n.° 07-13268, publié au Bulletin).

On s’étonne presque qu’elle n’ait pas saisi la Cour européenne des droits de l’Hommes, sur le fondement du protocole n.° 1 qui consacre le droit de propriété ….    

Vis ma vie d’artiste.  

Enfin, elle a sûrement dû se consoler dans les lettres, probablement en relisant les proverbes du Roi Salomon – lui qui disait : « Biens mal acquis ne profitent jamais.».

Elle s’est aussi réconfortée en se faisant (re)faire le portrait – littéraire celui-là – par Libé (Libération, 26 juin 2009).

Un portrait où la journaliste raconte que l’avocate lui a donné rendez-vous au Musée d’art moderne. Si elle savait … !

Un portrait où l’avocate parle de sa « vocation » comme d’un « sacerdoce », qui ne lui offre que « 7 000 euros mensuels en moyenne ». Tout est dans le « en moyenne » : c’est vrai que si on lisse les 250 000 euros sur quelques années …. Une vie de bohème, en somme, une vie d’artiste.

Un portrait où « son ami magistrat » dit qu’ « elle prend tout tellement à cœur, que c’est une blessure personnelle de perdre un procès. ». On veut bien le croire.  

Les voies de la Bâtonnière sont impénétrables.  

Allez, encore une petite devinette : comment l’Ordre des Avocats de Paris a-t-il réagi à la suite de cette affaire ?

a)     Il a ouvert des poursuites disciplinaires contre Caroline Mécary. 

b)     Il a écarté Caroline Mécary de toute fonction ordinale. 

c)     Il a décoré Caroline Mecary et lui a confié de nouvelles fonctions ordinales.

Réponse c), en toute logique (ordinale).

Le 20 février 2013, Christiane Féral-Schuhl a organisé la cérémonie de décoration de Caroline Mécary, au Palais de Justice, au cours de laquelle celle-ci a été faite Chevalier de l’Ordre national du Mérite [NDLR : si on nous avait consulté, nous aurions plutôt suggéré de la faire « Chevalier des Arts et des Lettres » !].  

En apparence, c’est Anne Hidalgo, sur la photo, qui épingle le petit bouton bleu au veston de Caroline Mécary, en présence de la Bâtonnière (sous les applaudissements chaleureux d’Alain Weber …).

En vérité, c’est Christiane Féral-Schuhl qui avait demandé au Ministère de la Justice l’attribution de la médaille à son ancienne collaboratrice.

Il est vrai qu’elle en a du mérite, elle qui a soutenu très activement notre Bâtonnière dans sa campagne électorale.

Elle en a tellement que notre Bâtonnière l’a faite nommer, en 2013, comme membre de la formation de jugement disciplinaire de l’Ordre des Avocats de Paris.

Caroline Mécary pourra donc infliger blâmes, suspensions et radiations aux Confrères qui ne respecteraient pas les principes essentiels de désintéressement, de modération, de délicatesse …. Par exemple en facturant des honoraires excessifs à leurs clients.

Car après tout, comme disait La Rochefoucauld – qui semble avoir écrit ses Maximes à l’attention de l’Ordre des Avocats – il est plus aisé d’être sage pour les autres que de l’être pour soi-même. 

Une ombre au Tableau (de l’Ordre des Avocats de Paris). 

Mais, au fait, comment sont désignés les membres des formations de jugement disciplinaires de l’Ordre des Avocats de Paris ?

En théorie, ce n’est plus le Bâtonnier qui les désigne, mais le Conseil de l’Ordre.

En effet, la Cour européenne des droits de l’Homme a condamné la France, car la procédure disciplinaire des avocats ne respectait pas le droit au procès équitable. La Cour a rappelé le principe fondamental de séparation des fonctions de poursuite et de jugement, en vertu duquel l’organe qui poursuit ne peut pas juger. On ne peut pas être juge et partie.

Depuis lors, le Bâtonnier, autorité de poursuite, ne pouvait plus désigner les membres des formations de jugement disciplinaire.

Cependant, en pratique, c’est bien le Bâtonnier de Paris qui choisit discrétionnairement ces membres des formations de jugement.

Ainsi, le 15 janvier 2013, Christiane Féral-Schuhl a fait voter par son Conseil de l’Ordre la liste des membres des formations de jugement – qui comprenait Caroline Mécary – et des délégués à l’autorité de poursuite – en reconduisant dans ses fonctions une certaine Dominique Piwnica (voir notre article « Une ancienne Membre du Conseil de l’Ordre montre l’exemple : ‘Qu’il crève ce mec !’ »).

Un vote qui s’est fait sans débat, à la quasi-unanimité (moins la voix du Président du MAC et de deux autres grincheux).

Un vote qui aura duré, montre en main, 13 secondes et 40 centièmes.

Bref, un vote mécanique, qui ne vient qu’enregistrer le choix discrétionnaire, pour ne pas dire arbitraire, du Bâtonnier ….

Et pour cause : le Conseil de l’Ordre de Paris n’a jamais débattu ni voté les critères ou conditions de choix des membres des formations de jugement.

Le MAC a donc décidé de proposer à notre Bâtonnière d’inscrire ce point à l’ordre du jour, afin qu’à l’avenir le Conseil de l’Ordre puisse débattre de la désignation de chaque juge disciplinaire et vérifier que celui-ci remplit les conditions qui auront été préalablement fixées.

Pour que notre procédure disciplinaire sorte enfin d’un certain flou artistique …. 

Lettre du Président du MAC à Christiane Féral-Schuhl, Bâtonnier de Paris, et à Pierre-Olivier Sur, Dauphin, du 27 mai 2013 :

CCF27052013_00001Enfin une lettre qui ne sera pas classée verticalement …  

Spéciale dédicace.

Le MAC dédie ce pamphlet à Joan Mitchell.

L’artiste a-t-elle imaginé qu’un jour, après sa mort, une avocate tenterait de se payer sur ses œuvres ? Et que l’Ordre des Avocats de Paris l’accepterait ?

 Joan_Mitchell

R.I.P. Joan Mitchell

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