Contrôles de comptabilité : l’Ordre s’intéresse à vos dessous chics.

Le MAC cultive la discrétion.

Il n’apprécie pas qu’on aille fouiller dans ses affaires personnelles.

Mes chers Confrères, saviez-vous que l’Ordre des Avocats de Paris peut vous demander à tout moment de lui communiquer vos relevés de comptes bancaires personnels et privés sur plusieurs années ?

Laissez-nous vous conter la genèse d’une telle dérive.

Au commencement était l’article 17-9 de la Loi du 31 décembre 1971 organisant la profession d’avocat. Il était obscur, ténébreux :

« Le Conseil de l’Ordre a pour tâche, notamment : (…) de vérifier la tenue de la comptabilité des avocats (…) ».

L’Ordre de Paris trouva que ce n’était pas assez. L’Ordre dit alors : « Que toute la lumière soit ! ». Et il souleva le voile, découvrit l’alcôve, et toute la lumière fut.

Ce fut ainsi que, dans le cadre des contrôles de comptabilité (dits « contrôles art. 17-9 » dans le jargon ordinal), l’Ordre créa un véritable usage, sans fondement textuel.

L’Ordre se mit à exiger des avocats contrôlés qu’ils lui communiquent leurs relevés de comptes bancaires personnels et privés sur plusieurs années.  

Même dans les cas où le contrôle n’a pas pour origine un détournement de fonds vers les comptes personnels ? Oui, parfaitement, même dans ces cas.

Tout cela mérite quelques explications. Il y a deux types de contrôles de comptabilité : « aléatoire » ou « ciblé ».

1)     Le contrôle de comptabilité dit « aléatoire ».

Il a été instauré en 2010 par le Bâtonnier Jean Castelain.

Grâce à lui, chaque année, des centaines d’avocats parisiens sont tirés au sort [NDLR : allez savoir selon quelles modalités, c’est au choix : yeux bandés, pile ou face, roulette russe, en présence d’un huissier comme à la Loterie Nationale, à la tête du client …].

Les heureux élus reçoivent alors une lettre de l’Ordre, qui les informe de leur bonne fortune, et leur annonce le passage prochain d’un ancien Membre du Conseil de l’Ordre à leur cabinet.

Le Bâtonnier Castelain assurait, dans le Bulletin du Barreau du 5 mars 2010 :

« Lorsque la comptabilité d’un cabinet est bien tenue, une telle vérification ne devrait pas prendre plus d’une ou deux heures. ».

Hum … Difficile à croire.

De fait, le MAC a interrogé quelques Confrères contrôlés. Un Confrère a ainsi dû consacrer deux après-midi entières – le contrôle aura révélé un écart de … 5 000 Euros.

Il était en exercice individuel et on imagine aisément que le contrôle d’un cabinet de 10 ou 15 associés doit lui aussi prendre bien plus qu’ « une ou deux heures » ….    

Enfin, ce n’est pas le pire, car, dans le cadre de ce contrôle « aléatoire », l’Ordre ne contrôle que vos relevés bancaires professionnels.   

2)     Le contrôle de comptabilité dit « ciblé ».

Alors là, ça dérape complètement.

En résumé : un client se plaint, vous accuse ? L’Ordre peut décider – allez savoir pourquoi ça tombe sur vous – de contrôler votre comptabilité et de vous demander vos relevés de comptes personnels et privés.

Vous n’êtes pas accusé d’un quelconque détournement de fonds professionnels vers vos comptes personnels ?

Peu importe.  

Votre compte personnel est un compte joint avec votre époux, qui n’est pas forcément avocat et n’a donc aucune obligation envers l’Ordre ?

Et alors ?

Vous faites des dons à l’Association chrétienne de lutte contre l’avortement ?

L’Ordre le saura.

Vous passez vos vacances au couvent ?

Vous êtes adhérent du Parti de Gauche ?    

Votre épouse abuse du téléphone (rose) ? 

Votre mari passe souvent au péage de Deauville et retire beaucoup d’espèces dans les villes d’eau situées près de casinos ?

Vous aimez vous déguiser – ou déguiser les autres [le MAC vous recommande chaudement le site www.deguisetoi.fr/deguisements-adultes.html] ?

L’Ordre saura tout de vous.

3)     Cas pratique.

Vous ne nous croiriez pas si on ne vous donnait pas un cas concret, une histoire vécue.

A lire attentivement : cela pourrait arriver à n’importe lequel d’entre nous, que nous soyons patron ou collaborateur, artisan ou Partner.

Voici Maître B., un paisible avocat qui pratique le droit immobilier et qui n’a jamais fait parler de lui à l’Ordre pendant plus de 20 ans d’exercice.

Un beau jour, un ancien client, la société A., une société immobilière de grande envergure, prétend qu’elle lui aurait payé deux fois une même facture de 1 100 € hors-taxes, il y a plusieurs années de cela.

Maître B. est étonné et demande, naturellement, à la société de lui fournir un état détaillé des multiples paiements effectués sur plusieurs années, afin qu’il puisse lui-même reprendre ses propres factures (archivées depuis longtemps) et les comparer aux honoraires versés.

Maître B. s’engage à rembourser immédiatement la société A. si un double paiement apparaît.

Très étrangement, la société A., au lieu de fournir l’état de ses paiements, fait saisir le Bâtonnier par son nouvel avocat.

La Commission de Déontologie, présidée par Jean-Paul LEVY, ancien Membre du Conseil de l’Ordre, étudie le dossier, entend les parties, et leur notifie un avis déontologique plein de bon sens : dans un premier temps, la société A. devra produire un état des règlements intervenus ; puis, dans un second temps, Maître B. devra, s’il y a effectivement eu un double paiement, rembourser le trop perçu.

L’affaire aurait pu et aurait dû s’arrêter là.

Maître B. attendit sagement l’état des relevés, censé prouver ce prétendu double paiement, mais il ne le reçut jamais.

Ce qu’il découvrit, un beau matin, en ouvrant sa boite aux lettres, c’est une missive de l’Ordre l’informant du contrôle de sa comptabilité et le sommant de communiquer, notamment, ses relevés bancaires « pour tous vos comptes, tant professionnels que privés pour les années 2010 et 2011 ».

La lettre recommandée adressée par l’Ordre à Maître B. (anonymisée et reproduite avec son autorisation) : 

 

4)   De la démocratie ordinale et du bon usage des cotisations professionnelles.

Vous ne saviez pas à quoi servent nos cotisations professionnelles ?

On va vous le dire : sur la foi des seules déclarations d’un ancien client affirmant avoir payé deux fois la même facture de 1 100 € hors-taxes, sans en justifier par des pièces, le Conseil de l’Ordre des Avocats de Paris à voté le contrôle de toute la comptabilité d’un avocat, professionnelle et personnelle, sur les trois dernières années.

Ah, mes chers Confrères, si seulement les séances du Conseil de l’Ordre étaient publiques comme celles du Conseil National des Barreaux ….  

Vous auriez vu de vos propres yeux les élus de l’UJA [NDLR : Union des Jeunes Avocats – en propriété intellectuelle, on appelle ça une ‘marque déceptive’], appuyés par des élus de grands cabinets d’affaires, soutenir la nécessité absolue du contrôle de comptabilité, jusque dans les comptes personnels et privés, de ce brave artisan du droit sans histoires, en exercice individuel [NDLR : il exerce avec son Labrador, pour être parfaitement exact].

Un Membre du Conseil a justifié la communication des comptes personnels en soutenant que l’avocat avait le droit de ne pas y déférer.

Ah bon, vraiment ? Pourtant l’article 75-5, alinéa 2, du Règlement intérieur semble clair : 

« L’avocat doit satisfaire aux demandes qui lui sont faites dans le cadre de ces vérifications et communiquer aux représentants du Bâtonnier les pièces comptables et les documents justificatifs se rapportant aux opérations effectuées« . 

On imagine mal l’avocat contrôlé refuser au Délégué du Bâtonnier la communication de ses comptes personnels. D’autant que, s’il lit assidûment le Bulletin du Barreau, il saura que ses Confrères sont régulièrement poursuivis en disciplinaire pour ne pas avoir répondu aux demandes du Bâtonnier ….

Le Président du MAC, qui siégeait à cette séance du Conseil de l’Ordre, a lancé le débat sur ce contrôle de comptabilité, qui a été voté à la majorité mais qui a fait l’objet de 5 votes contre et 2 abstentions [NDLR : oui, oui, toujours les mêmes contestataires : Jean-Louis Bessis et compagnie …].

Nous ne comptons pas en rester là.

Le MAC va donc préparer une proposition d’amendement à l’attention du Ministre de la Justice (à intégrer dans un projet de loi d’origine gouvernementale), afin d’interdire expressément la demande de communications des comptes bancaires personnels et privés, sauf lorsque le contrôle de comptabilité à pour origine ou révèle des détournements de fonds vers ces comptes.

Dans l’immédiat, le MAC lance un appel aux Membres du Conseil de l’Ordre de Paris et leur demande de voter contre les contrôles de comptabilité ciblés, du moins lorsque le motif d’ouverture du contrôle ne fait pas apparaître un détournement de fonds vers les comptes personnels et privés de l’avocat.

Car, au fait, est-ce bien pour cela que les avocats paient des cotisations et élisent leurs Bâtonniers et Membres du Conseil de l’Ordre ?  

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