Cas pratique de droit administratif offert par l’Ordre de Paris.

La Commission droit public du MAC a décidé de se pencher sur l’usage que l’Ordre de Paris faisait de nos cotisations. Appréciez ….

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L’expression populaire veut que les cordonniers soient toujours les plus mal chaussés. L’Ordre du barreau de Paris vient de se le faire rappeler à ses dépens.

Depuis 2011, et à juste titre, l’Ordre des avocats de Paris s’intéresse à la sincérité des offres remises lors de la mise en concurrence d’un marché public passé par des collectivités, y compris celles situées hors du ressort de la Cour d’appel de Paris.

Cette démarche, salutaire pour la profession d’avocat, se fondait, légitimement, sur la défense du périmètre du droit.

« Enfin !« , pouvait-on penser, l’Ordre agit au-delà des beaux discours pour défendre notre profession. Si d’autres professions, notamment du chiffre, étaient encore tranquilles, une première démarche était engagée.

Cependant, si le volontarisme affiché de nos représentants mérite tous nos applaudissements, l’Ordre a agi curieusement, s’estimant fondé à contester directement les marchés publics à la place des avocats ayant remis une offre lorsque ces marchés semblaient être contraires à certains de ses principes.

Ainsi, informé par des avocats candidats, dont l’anonymat est garanti, l’Ordre des avocats se substitue à eux en saisissant directement le juge administratif.

L’Ordre a donc saisi le juge administratif contre des marchés, attribués à des bureaux d’étude, dotés de juristes, au motif qu’ils ne disposeraient pas de l’agrément nécessaire pour la pratique du droit à titre accessoire.

Contradictoire, m’opposerez-vous, avec le lobbying actif et récurrent de l’Ordre pour que les juristes deviennent des avocats.

C’est exact. Mais, le juriste d’un bureau d’étude ou d’une collectivité ne partage pas le même monde que les juristes du CAC 40. Pour lui, point d’inscription à un barreau, direction le Tribunal !

Tout devait bien se dérouler, l’Ordre parisien s’apprêtant à s’ériger en défenseur de toute une profession.

Mais le parisianisme de l’Ordre n’allait pas suffire …. Le juge administratif n’en a que faire d’avoir l’Ordre des avocats parisiens en face de lui et, loin d’être intimidé par ses robes alourdies de médailles, il juge de manière indépendante et, surtout, en se fondant sur des règles juridiques.

Ainsi, le 13 février 2014, premier échec : le Tribunal administratif d’Orléans le déclare irrecevable car il ne démontre pas un intérêt à agir suffisamment direct et certain contre un marché public passé par la commune de Vierzon.

Il ne s’agit finalement que d’une application des principes dégagés par la jurisprudence syndicat des patrons coiffeurs de Limoges, daté du 28 décembre 1906 qui fête d’ailleurs cette année ses 110 ans !

Cette jurisprudence indique que, si un organisme professionnel peut prendre, en son nom propre, la défense des intérêts dont il est chargé, il ne peut pas intervenir au nom d’intérêts particuliers, sans y être autorisés par un mandat.

Ainsi, l’Ordre des avocats de Paris ne peut contester que des décisions portant sur les principes généraux de la profession ou alors intervenir au soutien d’un avocat lésé, avec son autorisation.

L’Ordre ne peut, en aucun cas, se substituer à des avocats parisiens, ayant candidaté à un marché public et qui préfèrent conserver l’anonymat.

Cependant, l’Ordre ne se démonte pas et, après avoir changé d’avocat, prend un ancien membre éminent de son Conseil et va, plein d’espoir, devant la Cour administrative d’appel de Nantes.

Mais, le 31 mai 2016, la Cour confirme le jugement, relevant qu’un Conseil de l’Ordre a pour mission de traiter toute question intéressant la profession et la défense des droits des avocats inscrits à son seul barreau et ne peut donc contester un marché public étranger à son ressort.

Il ne s’agit que de la mise en œuvre de l’article 17 de la loi du 31 décembre 1971 modifiée portant réforme de certaines professions judiciaires et juridiques.

Le Conseil de l’Ordre aurait pu solliciter une consultation – gratuite – aux élèves-avocats publicistes de l’EFB avant d’agir sans réfléchir !

Mais notre cher bâtonnier, accompagné d’un seul homme par son Conseil, ne s’est pas arrêté là.

Attaquer des communes, c’est bien mais attaquer des confrères, c’est plus drôle !

Ainsi, le 20 septembre 2016, le Tribunal administratif de Lille devait se prononcer sur un recours de l’Ordre parisien, contestant un marché attribué à un confrère lillois qui aurait, selon lui, proposé des prix estimés trop faible.

L’Ordre parisien a regardé les honoraires facturés par les gros cabinets d’affaires dont les membres sont (sur)présentés en son Conseil, pour considérer que notre avocat lillois avait proposé un prix inférieur aux tarifs habituels de la profession qui ne lui assurerait pas la viabilité de son cabinet.

Pour le dire plus clairement, l’Ordre considérait que l’avocat attributaire avait proposé des prix prédateurs pour remporter le marché, causant, toujours selon lui, une distorsion de concurrence.

Hélas ! Encore loupé ! Le juge des Flandres a considéré qu’un éventuel caractère anormalement bas d’une offre ne saurait léser l’Ordre des avocats de Paris mais seulement l’avocat ayant candidaté, celui-là même qui est resté anonyme pour ne pas débourser un centime.

Le juge se paye le luxe – et on le comprend ! – de rappeler à l’Ordre qu’un bas prix ne remet pas en cause les modalités d’exercice de la profession d’avocat, permettant de conférer à l’Ordre des avocats de Paris un intérêt à agir.

En outre, l’Ordre peut-il certifier qu’aucun avocat parisien n’a jamais candidaté, ou ne candidate encore aujourd’hui, à des marchés publics en proposant des bas prix ? Rien n’est moins sûr ….

Au-delà de l’aberration d’une telle pratique, elle fait surtout peser une menace sur les avocats publicistes, inscrits au barreau de Paris.

Cette manœuvre menace les avocats qui candidatent à des marchés publics car les pouvoirs adjudicateurs ont dorénavant le risque (certes devenu minime) de se voir attaquer leur marché, qui ne respecterait pas les exigences du barreau de Paris.

Cette logique contentieuse menace également la crédibilité du message porté par l’Ordre, qui s’impose discrétionnairement sur le territoire des autres barreaux en attaquant des communes hors de son propre ressort, méconnaissant le principe de confraternité et le rôle du Conseil national des barreaux.

Enfin, toi, avocat parisien, tu n’en n’as pas marre de payer, par tes cotisations, les recours de confrères anonymes, évincés de marchés publics mais sans doute proches de l’Ordre, qui font peser sur le budget de l’Ordre, leurs frais de procédure ?

On comprend, dès lors, que le bâtonnier de Paris s’obstine à ne pas vouloir exécuter l’arrêt de la Cour d’appel de Paris, du 11 février 2016, censurant les comptes de l’Ordre au motif qu’en 2012, plus de 5 000 000 d’euros ont été distribués en honoraires sans la moindre justification.

Allez, une graine d’espoir : nous votons bientôt pour un nouveau bâtonnier.

Pour éviter de nouvelles déceptions, ne jugeons plus les candidats sur des promesses trop vite oubliées – la démocratie et la transparence ne sont, pour la plupart d’entre eux, qu’une épuisette à voix.

Jugeons-les d’abord sur leurs actes au moment où ils ont eu des responsabilités.

La Commission droit public, pour le MAC.

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