Jean-Louis Bessis : des vertus trébuchantes sur des espèces sonnantes ?

Jean-Louis Bessis. 

Jusqu’au 25 juin à 5h31 du matin, ce nom était porteur de tant d’espoir ….

Mais depuis ce jour et à cette heure, il est synonyme de désespoir.

La Bruyère écrivait, au sujet des courtisans, « la faveur met l’homme au dessus de ses égaux ; et sa chute, au dessous. » (Les caractères, chapitre « De la Cour« ). 

Dans la nuit du 24 au 25 juin 2015, entre les deux tours de l’élection au bâtonnat de Paris, Jean-Louis Bessis – lui-même candidat – a malencontreusement glissé, dérapé, et définitivement perdu toute chance de devenir un jour bâtonnier. 

Laissez-nous vous conter cette bien triste fable.

Sur le perron du bâtonnat.

C’était au soir du 23 juin 2015, à l’issue du premier tour.

Jean-Louis Bessis arrivait en troisième position. Il ne lui avait manqué que quelques centaines de voix pour être en lice au second tour.

Depuis des années, il incarnait une forme de contestation au Barreau de Paris.

Il se présentait à l’élection au bâtonnat et ne cessait, de campagnes en campagnes, de rassembler toujours plus de suffrages.

Il dénonçait le « mode de fonctionnement d’un autre âge » du Conseil de l’Ordre. Il promettait, s’il était élu bâtonnier, « réduire de 40 % [sa] rémunération« , de « réduire drastiquement le train de vie du Conseil de l’Ordre« , d’imposer « la transparence des comptes de l’Ordre« . « J’aurai à cœur d’accorder la même considération aux avocats sans grade et aux notables, aux débutants et aux célébrités » qu’il disait même.

Bref, celui que les journalistes surnommaient le Mélenchon du Barreau était le troisième homme et il aurait pu être la troisième voie. Il était sur le perron de l’Ordre des Avocats et aurait pu saisir le bâton à la prochaine élection.

Hélas, il a pris la voie médiane, pour ainsi dire, celle du médiateur.

L’idée de (mauvais) génie.

C’était le 24 juin 2015, au lendemain du premier tour et à la veille du second.

Frédéric Sicard et Dominique Attias débattaient face à David Gordon-Krief et Hubert Flichy sur la chaîne télévisée Public Sénat.

A la toute fin, Frédéric Sicard concluait son intervention par cette déclaration inattendue :

« J’imagine même maintenant qu’il nous faudra une autorité indépendante. Nous allons la concevoir très vite pour que vous puissiez avoir quelqu’un qui soit votre médiateur auprès du Bâtonnier« .

Cette idée de ‘médiateur’ entre l’Ordre et les avocats ne figurait dans aucun programme de Frédéric Sicard, ni dans sa première campagne, ni dans la seconde. Elle était totalement nouvelle et surgissait dans sa bouche à la dernière minute, au propre comme au figuré : dernière minute du débat télévisé, dernière minute avant le second tour.

Cette idée impromptue n’apparaissait pas davantage dans le programme de Jean-Louis Bessis, qui n’a jamais évoqué de ‘médiateur de l’Ordre’.

Mais le même Jean-Louis Bessis fut tellement séduit par cette idée qu’il la reprit … dès le lendemain matin.

La nuit porte conseil.

C’était le 25 juin 2015, à 5h31 du matin, soit quelques heures avant l’ouverture du scrutin pour le second tour de l’élection au bâtonnat.

Jean-Louis Bessis – qui n’avait jamais appelé à voter pour un candidat au bâtonnat lors des dernières élections – demandait pour la toute première fois à ses électeurs de voter pour Frédéric Sicard et Dominique Attias.

Et après avoir soudainement découvert des points communs entre leur programme et le sien, il concluait ainsi :

« Ils viennent, en outre, d’annoncer publiquement la mise en place d’un « médiateur » qui prendrait la forme d’une autorité indépendante tant vis-à-vis de l’ordre que du Bâtonnier ou du Vice-Bâtonnier. Il fera office, si j’ai bien compris, de « contre-pouvoir ». ».

Il n’en fallait pas plus pour que la rumeur se répande au Barreau de Paris : et si Jean-Louis Bessis avait apporté ses voix à Frédéric Sicard en échange d’un poste de médiateur à l’Ordre des Avocats ?

Un médiateur (in)dépendant ?

Médiateur rémunéré. Nécessairement. On imagine mal qu’il ne le soit pas, vu le temps qu’il aurait à consacrer aux réclamations des 27 000 Confrères.

Rémunéré par qui ? Sûrement par l’Ordre. On concevrait difficilement qu’il le soit par les avocats eux-mêmes, qui versent déjà suffisamment de cotisations à l’Ordre.

Mais ce médiateur pourrait-il alors être une « autorité indépendante« , comme l’affirme Frédéric Sicard, s’il était payé par l’Ordre ?

Et s’il était avocat, serait-il indépendant d’un Ordre qui, en plus de le rémunérer, exercerait sur lui un pouvoir disciplinaire et arbitrerait les contestations d’honoraires présentées par ses clients ? 

On en doute sérieusement.

Il faudrait plutôt que ce médiateur soit un professionnel de la médiation, ou une personnalité de la société civile, ou bien encore un magistrat à la retraite.

Mon petit Jean-Louis.

Ah, mon p’tit Jean-Louis ….

Dans un billet de campagne où tu dénonçais les frais de propagande électorale, tu posais cette question : « les candidats les plus fortunés et leurs soutiens seront-ils en mesure d’acheter le bâtonnat ?« .

Le bâtonnat, on se sait pas, mais le médiateur, Jean-Louis …. 

Dans une vidéo de campagne, tu moquais les autres candidats, dont faisait partie un certain Frédéric Sicard : « Mes contradicteurs, que je crois à peu près interchangeables (…) ».

Ben, tu vois Jean-Louis, finalement, dans ta tête, tes compétiteurs sont un peu comme tes électeurs : interchangeables. Tu pensais pouvoir les échanger, dans l’entre-deux tours, contre un poste de médiateur …. 

Ah, mon p’tit Jean-Louis, c’est trop bête ! Tu y étais presque, à la porte du bâtonnat ! Tu attendais encore un peu, tu continuais à hurler au scandale, et, à la prochaine élection, tu le tenais enfin le bâton !

Malheureusement, à quelques pas de l’entrée, tu as glissé sur ce maudit biffeton, sur cette funeste médiation !

Dessin Bessis

Bessis la glisse.

Enfin, ce n’est que dans six mois, à la prise de fonctions du Bâtonnier Sicard, que nous connaitrons le fin mot de l’histoire.

Si Bessis n’est pas nommé médiateur, tout ceci n’aura été que le fruit de notre imagination parfois trop féconde.

En attendant, fiction ou réalité, cette histoire nous a inspiré ces quelques vers en alexandrins …. 

Vertus trébuchantes sur espèces sonnantes

Voici Bessis, jadis un candidat propice,

Il fut un temps où Jean-Louis était notre ami,

Qui ne fut élu, car il n’avait point de vice,

Et sur les vices d’autres criait l’hallali,

Mais dans la Cour du Roi, il voulait pénétrer,

Par une entrée dérobée, entre les deux tours,

Il alla se trainer, même presque ramper,

Pour lui aussi profiter des bons petits fours,

Tragiquement glissa sur une médiation,

Que lui avait bien tendue le père Sicard,

Définitivement en perdit le bâton,

Et qui parmi ses Confrères finit tricard,

Car ainsi va la vie au Barreau de Paris,

Où l’on sait désormais qu’il n’y a pas deux Avi.

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