L’avocat en entreprise, ou l’apogée de la démocrature.

« Mais au fond, que penses-tu qu’on apprenne dans ces conversations si charmantes ? […]

On y apprend à plaider avec art la cause du mensonge, à ébranler à force de philosophie tous les principes de la vertu, à colorer de sophismes subtils ses passions et ses préjugés, et à donner à l’erreur un certain tour à la mode selon les maximes du jour.

Il n’est point nécessaire de connaitre le caractère des gens, mais seulement leurs intérêts, pour deviner à peu près ce qu’ils diront de chaque chose. »

(Jean-Jacques Rousseau, Julie ou la Nouvelle Eloïse », cité par Thomas Guénolé in Petit guide du mensonge en politique).    

A lire ces lignes, on croirait que Rousseau fut Bâtonnier de Paris ou Membre du Conseil de l’Ordre de Paris, après s’être formé à l’Union des Jeunes Avocats (UJA) de Paris.

C’est exagéré, vous trouvez ? C’est tellement vrai.

Lisez donc ce que nous ont encore fait nos élus parisiens sur le projet d’avocat en entreprise (projet Macron).

Quand on vous disait que l’Ordre de Paris n’était pas une démocratie, non plus une dictature, mais une sorte de ‘démocrature’ ….

« Mon D.ieu, gardez-moi de mes élus. Quant à mes ennemis, je m’en charge ! »

C’était le 2 décembre 2014. Une date qui restera dans l’Histoire du Conseil de l’Ordre des Avocats de Paris, du moins dans celle de sa décadence.

A la suite des rapports – favorables – de Marie-Alice Jourde, Xavier Autain et on ne sait plus quel autre Membre du Conseil de l’Ordre, le Bâtonnier ouvrit le débat sur la délibération favorable au Nouvel Avocat Salarié en Entreprise (« NASE », ça ne s’invente pas).

Mais qu’allaient-ils pouvoir bien nous dire pour voter en faveur de ce projet voulu par les entreprises (MEDEF, AFJE, Cercle Montesquieu, …) et rejeté par la grande majorité de nos Confrères ?

Rien, ou presque. Des bêtises, beaucoup de bêtises.

L’avocat en entreprise, ce désastre économique pour la profession d’avocat.

Pourquoi le MEDEF et les associations de juristes d’entreprise mènent depuis 20 ans des actions de lobbying en faveur de l’avocat en entreprise ?

Pour réduire leurs frais d’avocat, évidemment.

Aujourd’hui, les entreprises font appel à des avocats – et non à leurs juristes – pour bénéficier de la confidentialité et du secret professionnel : négociation d’accords commerciaux, consultations fiscales, ….

Le DRH ne peut pas négocier une transaction directement avec l’avocat du salarié, au risque de voir ses échanges produits devant le Conseil de Prud’Hommes. Il fait donc appel à un avocat.

Demain, si le DRH et le juriste deviennent avocats et bénéficient ainsi du secret professionnel, ils pourront négocier eux-mêmes avec les avocats adverses, qui seront souvent eux-mêmes des avocats en entreprise (sociétés commerciales, organisations syndicales de salariés, associations, …).

C’est ce qu’on appelle la désintermédiation : on supprime un intermédiaire coûteux, en l’occurrence l’avocat, pour faire des économies.

Ainsi, alors que l’entreprise payait hier un avocat 300 euros d’honoraires de l’heure, elle payera demain son juriste devenu avocat 30 euros de salaire de l’heure.

Un nouveau débouché déjà très encombré ….

« L’avocat en entreprise va créer de nouveaux débouchés pour nos jeunes Confrères« , qu’on nous promet.

C’est oublier qu’il y a déjà des dizaines de milliers de juristes d’entreprise qui pourront devenir avocats grâce à une nouvelle passerelle aux conditions très assouplies, comme le prévoit le projet Macron (cinq ans de pratique, sans condition de diplôme).

Sans parler des milliers d’avocats omis, qui exercent en entreprise et qui se dépêcheront de se réinscrire comme avocats pour continuer à exercer en entreprise ….

La sagesse populiste.

Au début de cette séance du Conseil de l’Ordre, Elizabeth Oster, Elisabeth Cauly et le Président du MAC adressèrent une lettre ouverte au Bâtonnier pour lui demander de convoquer les avocats parisiens en Assemblée générale, comme le permet le Règlement intérieur, pour les consulter sur ce projet essentiel de l’avocat en entreprise (Lettre Ouverte au Bâtonnier – Macron 1).

En vain.

Le MAC serait-il populiste ?

En vérité, le Bâtonnier sait très bien ce qu’aurait été la réponse des avocats parisiens.

Pour preuve, le sondage réalisé par le réseau social Hub Avocat, auquel ont répondu un échantillon très représentatif de 10 000 avocats et qui présente toutes les garanties de fiabilité (lire le sondage ici) :

– 81 % des avocats parisiens soutiennent ou participeront à la journée de mobilisation du 10 décembre contre le projet Macron  ; 

– 80 % des avocats parisiens pensent que le Barreau de Paris doit participer à cette mobilisation.

Heureusement, d’après une source autorisée, le Gouvernement est parfaitement conscient du décalage qui existe entre l’opinion publique des avocats parisiens et leurs élus ordinaux.

Le peuple reconnaitra les siens.

Les séances du Conseil de l’Ordre de Paris sont encore non-publiques, et c’est bien dommage.

Le Président du MAC a donc demandé un vote nominatif sur l’avocat en entreprise, comme le permet le Règlement intérieur du Barreau de Paris. 

Vous aurez ainsi le plaisir découvrir très prochainement, dans le Bulletin du Barreau, les noms de vos élus qui ont voté en faveur de l’avocat en entreprise.

Il y a de tout : des UJA (Romain Carayol, Karine Mignon-Louvet, Annabel Boccara, Vincent Ohannessian, Dominique Piau, …), des ACE (Alexandre Moustardier, …), des grands cabinets (Jean-Jacques Uettwiller, Dominique Borde, …), des anciens Bâtonniers (Paul-Albert Iweins, Jean Castelain, …).

En fait, les seuls qui ont voté contre cette forfaiture sont le Président du MAC, ainsi que Elizabeth Oster et Elisabeth Cauly, des élues indépendantes dont le MAC avait soutenu les candidatures [NDLR : on ne s’était pas trompés !].

Lorsque le Président du MAC a révélé cette information sur les réseaux sociaux, Romain Carayol, élu UJA, a hurlé à la « chasse aux sorcières indigne« .

Le pauvre garçon … Ne vous moquez pas, il ne savait pas : personne ne lui a dit qu’un élu devait rendre des comptes à ses électeurs.

Une fois l’élection passée, fais ce qu’il te plaît.

A la veille des élections ordinales, l’UJA de Paris publiait un article au ton insurrectionnel – ce ton qu’ils n’adoptent qu’en période électorale.

Sous le titre « De la nausée à la colère« , voici ce qu’ils écrivaient :

« Si les jeunes avocats se sont toujours montrés prospectifs et ouverts aux réformes nécessaires à la modernisation de la profession dans l’intérêt du justiciable, nous ne pouvons que déplorer la création d’un statut d’avocat en entreprise, inacceptable notamment en ce qu’il foule aux pieds notre secret professionnel et notre indépendance.« 

Ca, c’était pour la com’, juste avant l’élection.

Après les élections au Conseil de l’Ordre, on sait maintenant ce qu’a voté l’Union des Jeunes Avocats-en-entreprise – ces NASE(s) avant l’heure.

Nous pouvons toujours jurer qu’ils ne nous y prendront plus, mais c’est un peu tard ….

Aux robes, Avocats-citoyens ! 

Chers Confrères, ne laissons pas notre avenir nous échapper, ne laissons pas d’autres parler en notre nom mais contre nos intérêts. 

Ce mercredi 10 décembre, à 14 heures, marchons en robe Place de la République pour défendre notre belle profession, contre les autres et aussi, malheureusement, contre les nôtres.

Au plaisir de nous y retrouver.

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